samedi 14 mars 2009

Sa Majesté Jean Nouvel


Jean Nouvel est un architecte très admiré, et c'est mérité. Qui ne connait l'Institut du Monde Arabe, ou l'opéra de Dubai ?
Je prone que l'architecte est un acteur Politique de la construction de la ville. Meme s'il l'est moins (politique) que l'urbaniste. Ce sont parfois les memes, d'ailleurs.



Alors, je pose la question : Jean Nouvel est-il un ultra-libéral échevelé (haha) ? Ou est-il au contraire un interventionniste acharné ? En tout cas, à coup sur, il est pour le règne des architectes.

J'ai écouté le roi Jean sur France Inter.


Il exposait le projet de son équipe pour le Grand Paris, qu'il remettait hier à Nicolas Sarkozy après l'avoir présenté au Conseil Economique et Social (notez au passage que le Grand Paris a été étudié non par 10 urbanistes mais par 10 architectes. Très symptomatique de la mégalomanie présidentielle).




A une question d'une auditrice, qui demandait qui paierait pour ces projets apparemment pharaoniques, Jean Nouvel a répondu la chose suivante.
Ce ne sont pas que les pouvoirs publics qui ont un pouvoir sur la ville. Les lieux peuvent etre investis par quiconque a besoin d'un espace, pourvu qu'un architecte se charge de son projet.
Il a précisé sa pensée : une sale manie en France, c'est le zonage urbanistique (voir explication en fin de billet). Comme si l'on pouvait découper la Ville en rondelles, l'une pour l'activité, l'autre pour l'habitat, sans lien entre les deux... bref, il s'est emporté, précisant que dézoner permettrait surtout à des privés d'investir des lieux jusque là restés hors de portée, par exemple pour faire des lofts dans des friches industrielles etc... Riche idée pour ne pas laisser des espaces en déprise, c'est sur. D'ailleurs il veut que Paris soit une grande métropole compétitive.
Serait-ce à force de travailler sur des projets démesurés à Dubai, Pékin, Sydney, New York i tutti quanti, qu'il pense qu'on peut construire le Grand Paris en mélangeant tous les usages dans un meme endroit, sans faire cas des besoins et des moyens parfois simples, modestes, qu'a la population ?
La ville laissée aux mains des investisseurs, c'est la loi du marché dans toute sa splendeur, et sur les espaces forts d'enjeux, cela laisse peu de place à la modestie des usages.
C'est oublier trop vite que la ville est, aussi, aux mains de ses habitants.
Alors je vois bien qu'il projette des maitrises fortes de l'espace commun. Le paiement de ces infrastructures reste à dessiner... Les collectivités n'ont-elles pas déjà fort à faire avec la misère de la population qui s'aggrave, la nécessité de reprendre à leur compte les services publics déchus que l'Etat laisse partir à vau l'eau, la formation professionnelle, l'accompagnement des chomeurs... ?
Un Grand Paris par Jean Nouvel imposera, à tout le moins, le vote de lois sinon spécifiques, du moins adaptées pour contraindre les investisseurs privés à participer, s'ils veulent bénéficier de situations clés, aux projets publics. L'imbrication de ces projets est une sacrée paire de manches. Il faudra une volonté politique à la mesure des requins en face. A moins qu'on les laisse entièrement faire, mais là...
Car pour trouver les investisseurs, il faudra forcément se tourner vers de grands consortiums capables d'avoir une vision sur le long terme et de porter financièrement sur de longues périodes des projets de cette taille. Cela ne laissera que peu de places aux artisans, cette première entreprise de France, aux commerçants de détail, et ouvrira encore plus le champ aux groupes financiers qui se sont pas mal cassé la binette ces derniers temps et se sont fait regonfler les biceps par les Etats...
En outre, et là on en revient au fameux zonage urbanistique, il y aura un gros problème pour financer les logements sociaux, les équipements publics etc... sur des espaces dont le prix foncier atteindra des sommets.
Et que penser des espaces plus à l'écart encore du grand centre, où la maitrise foncière et politique ne sera pas aussi forte ?


Imaginez. Vous possédez, à 40 km de Paris, un terrain viabilisé d'environ 10 000 m². A qui allez-vous le vendre si le zonage urbanistique ne vous contraint pas ? À l'industriel qui veut faire son usine, créer 100 emplois, et vous l'achètera 25 € du m² ? A la société d'HLM qui vous proposera un peu moins de 20 € du m² et vous louera un garage dans l'opération ? Au lotisseur de standing qui vous paiera 150 € du m² en vous laissant un lot à disposition ? Au groupe commercial qui vous en donnera 75 € du m² en vous proposant des parts dans la galerie ? Ou à l'agriculteur qui vous paiera, allez, soyons fous, 1 € du m² pour y faire paitre ses vaches ?
Si en plus de cela votre terrain est dans une situation stratégique, à proximité d'une autoroute et d'une gare, les prix du lotissement, de l'usine et du commerce grimpent.
Et puis après tout, vous payez des impots, la collectivité fera les infrastructures pour emmener la population à son travail, dans les usines 80 km plus loin.
A moins que vous soyez un propriétaire éminemment politique, c'est à dire une collectivité, vous n'aurez que peu d'hésitations...

L'urbanisme laissé à l'investissement privé guidé par les architectes (attention, pas les architectes regroupés dans une société, les libéraux, qui travaillent chacun pour leur peau et qui sont payés au volume), voilà ce que ça donnera : des ghettos de fric. Les pauvres d'un coté, les riches de l'autre, un gouffre (ou un tunnel) entre les deux, aucune place pour les centres d'emploi, de la place que pour la misère, ou alors une mainmise de la collectivité sur les terrains, et une volonté interventionniste sans faille (je demande à voir).



Jean Nouvel est-il donc utopiste, ou Abu Dhabi lui a-t-il fait croire que tout le monde pouvait s'en remettre aux architectes ?
Mais il est vrai que penser le Grand Paris, c'est une vraie ambition, et ça n'a rien à voir avec la vie de village.


Ici mon explication sur le zonage qui est, il est vrai, notre base de travail en urbanisme en France depuis l'avènement des Plans d'Occupation des Sols il y a des ... pfiou, des décennies.
Le zonage, c'est le découpage du plan d'un territoire en des secteurs juxtaposés, de préférence cohérents, pour distinguer là où on a le droit de faire de l'industrie, là où on a le droit de faire de l'habitat mixé avec des commerces (les centres-villes), là où on a le droit de faire des immeubles, là où on n'a le droit de faire que de l'agriculture ou de laisser la nature en l'état... bref, on laisse les propriétaires maitres de leurs terres, mais on ne leur autorise pas n'importe quelle utilisation, afin de préserver de l'espace pour cultiver, ou simplement pour préserver la nature, afin d'émailler le territoire de plusieurs usages. Et c'est important car, dans des espaces aux enjeux forts, comme la grande banlieue, où la tentation de l'étalement urbain est prégnante, le zonage urbanistique est plus qu'un frein, une vraie méthode de contrainte des pouvoirs publics pour maitriser l'usage d'un territoire dans une société libérale où le droit de propriété est quasi inaliénable.




Arnaud Frich, photographe de villes

1 commentaire:

  1. Et sans zonage bien respecté on arrive au drame AZF Toulouse....

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A vous les crayons...