mardi 26 mai 2009

Voilà à quoi mène...



Le cartable. Ma hantise du soir.
Il ne devait rien manquer pour le lendemain. Les cahiers, les livres du jour, et tout le matériel avec les feutres, les crayons de couleur.
J'aurais pu tout laisser dedans, mais d'une part il fallait bien faire les devoirs, et d'autre part il aurait été trop lourd à porter.
Aussi, chaque soir, à l'aide du cahier de texte, il fallait faire l'inventaire. Mais chaque matin, en classe, je me lamentais d'avoir oublié quelque chose.
Si la matière avait lieu le matin, je rougissais très fort, je levais le doigt, je demandais au maître de pallier ma distraction. Il me faisait encore plus honte, en me proposant de suivre avec la camarade qui avait pensé, elle, à son livre, ou en me disant d'aller au tableau puisque j'avais oublié mon ardoise.
Le cauchemar prenait fin avec la matière suivante, mais mes joues cuisaient encore lorsque je rentrais à midi.
Si la matière avait lieu l'après-midi, je revenais de la maison où papa nous avait cuisiné des escalopes panées avec des pâtes au ketchup, avec dans la main un petit sachet plastique contenant l'objet manquant, et au ventre la frustration d'avoir manqué une partie de Danièle Gilbert et de la vedette du jour.

Sur chacun de mes carnets de correspondance, à côté de "bonne élève", il y avait marqué, "un peu distraite" ou "étourdie".

Ça a l'air très banal, et sans conséquence. Pourtant, j'étais fille d'enseignants, réussir à l'école était incontournable. Pas pour "faire plaisir" à mes parents, mais pour exister à leurs yeux. En tout cas, selon moi. Par conformisme, avoir une légitimité passait par le fait d'être première de la classe (comme quoi le ridicule ne m'a pas encore tuée). Qu'une Roselyne me passe devant, et j'étais vexée comme un pou. Pire, j'étais déconsidérée. Bonne à jeter. A mes propres yeux, car il me faut admettre que me parents, bien que fiers de mes résultats, n'en ont jamais fait un ultimatum ou une condition de quoi que ce soit.


Et malgré cet enjeu, rien n'a corrigé mon terrible défaut.
J'ai bien essayé de compenser par de l'organisation. J'ai multiplié les outils : la liste compulsive (lâchée dans la quinzaine suivante), l'agenda organiseur (vide après deux mois), les check-lists sur l'ordinateur (remplies pendant une semaine) : rien n'y fait. J'oublie toujours quelque chose.
Il n'y a qu'un truc à quoi je peux me fier : mes prises de note sur le vif, très complètes, avec la croix encerclée devant ce que j'ai à faire. Risible, puéril, mais efficace.

Et depuis ce temps d'écolière, rien n'a vraiment changé. Ma vie professionnelle se résumerait presque à une succession d'essais pour corriger cette étourderie, comme on frotte inutilement une tache qui refuse de partir.
Pis, on dirait que j'ai choisi exprès des postes qui m'exposent en permanence aux risques que me fait courir ma distraction.
Au lieu, naturellement, de trouver un métier dans lequel la rêverie serait plus qu'un atout, une qualité majeure, je persiste à occuper des fonctions dans lesquelles on passe son temps à mener des procédures, quand un oubli peut y être fatal.
Il semble que j'aie toujours envie de prouver, trente ans après, que je peux y arriver.
J'aurais peut-être pu être une bonne architecte-urbaniste.
Je ne le saurai sans doute jamais.
Voilà à quoi mène... l'obstination.

1 commentaire:

  1. Si tu savais combien je déforeste de forêts depuis que je fais de l'administratif:j'oublie toujours un mot,malgré moult relecture avant d'imprimer; une fois l'enveloppe fermée, je retrouve un bout du courrier sur la table; ou me rends compte que j'ai oublié de photocopier: et je ne peux pas toujours me contenter de recoller l'enveloppe!
    Mais tout cela c'est parce qu'on a trop dechoses (intelligentes, forcément) dans la tête

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A vous les crayons...