lundi 19 septembre 2011

Cours Danielle - un portrait

C'est une femme un peu sans forme, sans contour, sans âge, sans expression.
Elle a un corps sans personnalité, livré à lui-même. La taille n'est pas marquée, on ne perçoit pas les genoux, les cuisses et les mollets semblent articulés sans transition. Son visage est fade, ses traits sans relief.
Elle court, engoncée dans ses survêtements trop chauds, trop grands, mal assortis ; son t-shirt trop moulant sur ses seins, mornes malgré leur galbe rond, rebondissant trop bas sur son torse.
Elle court les pieds en canard dans des tennis blanches datant de ses années de collège, en soufflant péniblement, le visage rouge, les cheveux collés au front.
Elle court toujours si laborieusement, et aussi de cette façon inexorable. Elle s'acharne, le regard au sol, à avancer de son pas lourd, saccadé et pataud, laissant derrière elle, une maison, un trottoir, une rue, une ville, une famille, un fardeau.
Elle porte dans le rouge de sa veste nouée à sa taille, sa longue veste en jersey dont les liens trop longs ballottent contre ses cuisses, elle porte dans le rouge de cette veste les insultes qu'elle essuie toute la journée. Les « empotée ! » qui pleuvent sur son cou ployé, du matin au soir ; sur ses épaules fuyantes mouillées de sueur, les regards déplaisants, les soupirs lourds de reproches inarticulés.
Sur son visage boursouflé, dans la torsion de sa bouche qui expire si régulièrement, les commentaires vipérins émis devant les visiteurs.

La femme qui court chaque lundi le long de la nationale, dans son hypnotique effort, martelant de chacun de ses pas les horreurs qu'elle étouffe dans sa gorge à longueur de journée, sublimant course après course, les bouffées de froideur et les frissons de rage. Son visage, tendu vers l'effort et rien d'autre, vide de sentiment, vide de peur, vide d'idée. Butée, elle court, sans égard pour elle-même, densément jalouse de sa liberté, si rassemblée. Présente. Obstinément. Lancinante. Vivante.

4 commentaires:

A vous les crayons...